Aussi fragiles que les ailes du papillon
C'est l'histoire d'un été qui n'en finit pas. D'un soleil assassin qui vous
accable dès les premières lueurs du jour. D'une chaleur quasi tropicale
que votre peau même vous semble être un vêtement lourd à porter.
Ici, dans cette région du sud qui semble bloquée sur la touche été,
on vit le matin, et le soir. Le reste du temps, on se calfeutre
à l'intérieur, on sieste, on lit et on prépare sans hâte le dîner
qu'on va prendre au jardin, enduits de Cinq sur Cinq.
{plumbagos irréels : photo garantie sans retouche !}
Les couleurs vous assaillent, roses un peu agressifs des bougainvillées,
bleus improbables des plumbagos, violets violents des ipomées au lever
du soleil, orange vif des bignones échevelées par dessus les hautes grilles
qui entourent les villas du Cap.
{Villefranche où Cocteau aimait à flâner, et dont même le plus humble petit noir célèbre la notoriété;
bizarreries sur la promenade des Anglais, un peu de kitscherie ne peut nuire;
j'aime la naïveté de cette plaque revendiquée et signée !}
Les courses quotidiennes sont autant de prétextes à faire de belles balades :
la promenade Maurice Rouvier pour rallier Beaulieu et y acheter
son magazine, le marché de Villefranche et sa pause café en
bord de mer, celui du Cours Saleya de Nice pour déguster une socca.
Parfois l'on s'aventure un peu plus loin, et c'est Cannes, d'où l'on embarque
pour les îles de Lerins, notamment celle de Saint Honorat, bijou de verdure
et de quiétude où la marche à pied est le seul moyen de locomotion.
Depuis l'an 410, des moines y vivent au rythme de la vie monastique et
communautaire dans le respect de la règle de Saint Benoît, faite de
prière et de travail. Ora et labora.
Ils y cultivent de façon ancestrale un vignoble réputé, et recueillent de leurs
oliviers une huile pure proposée dans la petite boutique jouxtant l'abbaye.
A la condition bien naturelle de respecter par sa tenue et son comportement cet
endroit paradisiaque, on peut y pique-niquer (pas de poubelles : on est tenu de
rapporter ses déchets sur le continent) s'y baigner au creux de petites criques
de cartes postales, y méditer et envier ceux dont la foi fait dire ces mots :
"Quand je vais à l'office de nuit, je descends à l'église et je m'apprête,
avec mes frères, à prier Celui qui se tient là dans le secret.
Dans cette prière, j'emporte le monde encore endormi avec moi".
{le grenadier du monastère; une mouette poseuse; l'ancien cloître; une toile qui servait
aux ablutions, dont je me serais bien emparée...}
{sur le mur d'une des sept chapelles, les questions les plus fréquentes des visiteurs
sont affichées : il suffit de soulever le volet pour obtenir la réponse ! }
Un autre jour, c'est Eze qui nous accueille, village ô combien touristique,
et non sans raisons. C'est impeccablement beau, de quelque côté que
l'on se tourne. Vus et revus les ruelles en cascade, les portes anciennes,
les pavés disjoints, la végétation ébouriffée, le jaune canari de l'église
Notre Dame de l'Assomption, sans doute, mais comment se lasser ?
{la petite chèvre d'or monte la garde tandis que les vieilles pierres tiédissent au soleil}
Retour à la maison, les yeux encore pleins de cette beauté, pause lecture
et soirée sous les étoiles à chantonner Figaro, Fiiiigaro, dans une
retransmission du Barbier de Séville sur l'écran du Théâtre de la mer.
{ une lecture irrésistible de drôlerie; verrines de crèmes à la verveine du jardin}
Je viens régulièrement passer une quinzaine de jours à Saint Jean Cap Ferrat
depuis bientôt 8 années. La plupart du temps en juin ou septembre pour
éviter la foule, sachant que cette région est de toutes façons, tout
au long de l'année, un lieu privilégié pour les amateurs de soleil.
On a beau croire qu'à force j'en aurais un peu fait le tour, mais pas du tout.
Revoir la Villa Kerylos par exemple m'a littéralement enchantée,
comme à ma première visite il y a plus de vingt ans.
Cette maison, réplique des luxueuses villas grecques de Delos, fut édifiée au début
du XXe siècle à Beaulieu, ville limitrophe de Saint-Jean, par un architecte
italien pour le compte de l'archéologue-mathématicien-anthropologue-historien (!)
et grand helléniste Théodore Reinach. Toute la beauté et l'harmonie de la Grèce
antique y sont minutieusement reconstituées, depuis les bas-reliefs jusqu'aux
mosaïques, absolument extraordinaires.
On y révise au fil des pièces toute cette mythologie qui nous passionnait l'année de
nos 11 ans, les noms de Prométhée, Thésée, Dyonisos, Athena, Era, reviennent
en mémoire, avec leurs aventures, leurs amours, leurs exploits.
M. Reinach, un tantinet aussi fêlé que ses amphores, se plaisait à donner des dîners,
tout de toge vêtu, et à les partager avec quelques convives choisis allanguis
sur des lits de table, dont les femmes étaient exclues, comme au bon vieux temps...
J'ai hésité à faire comme chaque année un billet en plusieurs éditions, pour
finalement vous asséner celui-ci, vraiment très long, dont vous pouvez
naturellement vous réserver la lecture par une interminable journée de pluie.
{l'église orthodoxe russe Saint Nicolas à Nice; le vélo bleu à Antibes; une vraie cigale en plein récital}
Je sais qu'il est de bon ton de fustiger la Côte d'Azur et ses travers :
tongs avachies, short frangé, décapotables (rouges) hurlantes, bronzage rôtissoire
badigeonné d'huile solaire au parfum poisseux, soirées bling-bling, cohabitation
improbable de la beauferie et d'une richesse ostentatoire dont l'origine laisse perplexe.
{comme au bord de l'Atlantique, les petits cairns s'érigent timidement sur la plage de la Paloma;
en allant chercher la Clio garée un peu plus loin, tomber sur cette merveille dont
le bouchon est un Lalique; la petite Samaritaine de Beaulieu; ma lecture, très raccord}
Ce serait donner une image très réductrice de cette région dont le succès
n'est pas dû au hasard. Fille de l'ouest, attachée à mon océan et
à ma Bretagne depuis toujours, je suis passée moi-même au-dessus
de ces préjugés en la découvrant petit à petit.
{les hibiscus du jardin le disputent aux fleurs séchées cueillies sur la promenade du Cap;
le raisin au-dessus du petit portail de la maison n'est pas encore tout à fait mûr !}
L'éclat argenté d'un vol de mouettes moqueuses, l'oranger dont je peux caresser
les feuilles en ouvrant ma fenêtre chaque matin, la corolle soyeuse des hibiscus
s'ouvrant aux premières chaleurs, la baignade de 10h, le petit port aux eaux
étincelantes, l'odeur grisante et chaleureuse de la cuisine d'ici -
plutôt végétarienne, ce qui me comble d'aise, puis plus tard le naufrage du soleil
dans la baie de Villefranche, le tissu marine profond de la nuit étoilée,
les nuits douces protégées par la moustiquaire : rien de tout cela à Paris !
{la promenade du Cap, fabuleuse au soleil couchant: être juste bien chaussé}
Sur la plage de Cros Deï Pin, les jeunes surveillants affichent chaque jour
la température de l'eau, de l'air, comptabilisent le nombre de piqûres
de méduses, et proposent une devinette. Celle-ci m'avait beaucoup plu :
"Nous sommes soeurs, aussi fragiles que les ailes du papillon,
mais nous pouvons faire disparaitre le monde, qui sommes nous ?"
Réponse sur un prochain billet, mais je suis sûre que vous aurez trouvé avant !