Liberté conditionnelle
Ne serait-ce que pour le souffle léger du vent matinal qui fait frissonner
le rideau de gaze, pour l'odeur des jasmins, mêlée à celle du premier café
que l'on boit accoudée à la fenêtre, pour le chant de ces oiseaux inconnus
des grandes villes, pour le nid arachnéen découvert dans la bougainvillée,
pour la robe facile que l'on enfile sans se poser de questions sur son allure,
les sandales où l'on glisse ses pieds déjà un peu dorés, oui, pour tout cela,
quel bonheur d'avoir quitté Paris, sa boîte à chaussures de 48m2, ses trottoirs
jonchés de masques usagés, ses cyclistes furibards et déchaînés, qui prennent
toutes les rues (et les trottoirs !)pour de gigantesques pistes cyclables.
{douces couleurs pour nuits calmes}
Quitter la ville, enfin, devenait plus une survie qu'une nécessité, et tant pis
si en pénétrant dans le jardinet de la maison du sud, nous eûmes à peu près
la même sidération que le Prince découvrant le parc de la Belle au Bois Dormant
après 100 ans de sommeil.
{plumbagos bleus et pandorea jasmin au rose si délicat s'en donnent à coeur joie}
Les rampantes, les escaladeuses, les audacieuses, les sournoises,
les ôte-toi-de-là-que-je-m'y-mette, toutes les créatures végétales
s'en étaient donné à coeur joie pendant cette longue absence. C'était
presque dommage de leur intimer l'ordre de rentrer dans le rang,
afin que nous, humains, puissions avoir juste un coin de table
de jardin pour poser le plateau du petit déjeuner !
{délicates fleurs de caprier; premier geste du matin : ouvrir cette fenêtre sur un monde de parfums;
la crème vanille parfumée à la verveine sera ma seule contribution cuisine de ces vacances}
Pas de flore sans faune. Ici j'ai mon bourdon, baptisé Fabien,
qui vient chaque jour butiner le même buisson de seringat. Il y a aussi
le couple Mr et Mme Merle, nommés Pistou et Socca, pas du tout sauvages
et très siffleurs, les deux matous de la voisine, Milou et Jojo, chauffant
leurs petits corps vieillissants sur le dallage, les mouettes dont on admire
le ventre blanc nacré lorsqu'elles survolent le village, les moustiques,
également très conviviaux, sans prénoms, il ne faut pas exagérer.
{Pistou le merle; un cormoran dans les rues de Nice, très soucieux de la distanciation;
Jojo le chat (23 ans !); au coeur des plumbagos et des lauriers, tout un monde bruissant et butinant}
{lectures de plage; draps séchant au soleil, sous bonne garde du figuier}
A la plage, les yeux fermés, prenant juste le temps de sécher d'un premier bain
avant d'en envisager un second, je perçois ces sons familiers qui semblent
n'avoir jamais changé depuis mes 6, 8, 10 ans : cris d'enfants,
recommandations de parents - ne bouge pas quand je te passe la crème,
Thomas, ton chapeau, Elise, fais attention à ta soeur - frou-frou
du ressac, caquet des mouettes, rebond sourd du ballon contre la paume
du joueur, ce sont bien depuis toujours les mêmes bruits de plage,
cette douce et familière cacophonie qui traverse le temps et les âges.
{la petite "cérémonie" des cartes postales; joli choix de foulards dans le Vieux Nice;
plaque mensongère : ici, tous les toutous sont charmants; essais de bouture}
Finalement, peu de choses à relater sur ces journées pleines de soleil
dans l'ancien petit village de pêcheurs qu'est Saint-Jean-Cap-Ferrat.
Juste profiter de ce qui a tant manqué pendant de longues semaines.
Les promenades sur les sentiers côtiers à la tombée du jour ou au petit matin
ne nécessitant pas le port du masque, la sensation de liberté prit tout son sens.
{surprise de croiser un dolmen breton en pleine garrigue;sur les chemins côtiers, la végétation
de rocaille est magnifique, et non, je n'ai rien prélevé pour en faire des bouquets...
Tellement plus belle ici que dans mon salon parisien !}
La Clio s'est d'ailleurs bien reposée, n'ayant été sollicitée que pour une
excursion cannoise : l'escapade de l'an passé vers Saint Honorat nous a donné
envie de découvrir l'autre Île de Lérins, Sainte Marguerite. Déception, sauf si
ce que l'on recherche consiste en spots de baignade sur de minuscules criques
caillouteuses débordantes de corps huilés. Nous n'y avons hélas pas retrouvé
l'atmosphère paisible et recueillie tant appréciée sur l'île des moines.
L'impasse a été faite (à tort ?) sur la visite de la prison du Masque de Fer,
payante, alors que le prix de la traversée aurait largement pu l'inclure.
{à Sainte Marguerite, l'ancien lavoir où sèchent les filets}
Une glace nougat/lavande plus tard, nous voici à La Napoule, dans les jardins
extraordinaires de son Château, une sorte de forteresse néo-médiévale revue
et corrigée par Henry Clews et sa femme, couple d'artistes américains un peu
fantasques. J'avais connu cet endroit dans le cadre de mon travail
dans l'événementiel il y a quelques années. Un très beau souvenir...
{le château de La Napoule et ses jardins : le salon de thé avec vue sur la baie était fermé
pour raisons sanitaires, alors que le bistrot d'en face était ouvert, à chacun
son interprétation des mesures à prendre !}
{la toute mignonne librairie des Ateliers illustrés, qui expose également les créations
de Dominique Roux; agapanthe blanche, prête à faire le voyage Saint-Jean-Paris, puis Paris-Nantes}
Pour rallier Nice, le bus N°15 et son fabuleux parcours longeant la côte surplombant
la baie de Villefranche me transporte à des années lumières de la ligne 13 puante
et grouillante du métro parisien. Délaissant exceptionnellement le Cours Saleya,
la Promenade des Anglais et celle du Paillon (superbe au demeurant)je me suis
aventurée dans les "vraies" rues émaillées de petits commerces, de bars
d'habitués, de boutiques jolies, comme cette librairie pour enfants,
Les Ateliers illustrés, où j'ai craqué pour un ravissant album signé
Moulin Roty, destiné à Suzanne, avec l'espoir secret de lui faire lever le nez
des jeux video du portable de son père...
{le square de Verdun à Beaulieu sur Mer}
J'espère que vous aurez vous aussi la possibilité de vous ménager quelques
parenthèses enchantées, qu'elles aient le goût de la découverte ou celui
des retrouvailles. Regagnons doucement notre liberté, surveillée certes,
masquée souvent, prudente eh oui, et vivons en pleine conscience
ce qui est un cadeau, et non un dû.
Quelques liens :
* Les jardins de Beaulieu sur Mer
Et un super restaurant où déguster un délicieux risotto au "fregola sarda" :