Breizh forever/Rochefort en Terre
Un village breton beau dans sa rude simplicité, comme il en existe
tant sur ces terres ingrates. Il y a le boulanger, le grainetier,
l'épicerie-qui-vend-de-tout, le charcutier, le chausseur (charentaises,
bottes et sabots)le café du bourg en bas, celui d'en haut, le tout petit
bureau de poste en bois sombre, à peine plus grand qu'un lit clos.
Une mobylette pétarade dans la rue principale. "Ah tiens, c'est y pas
le jeune à Machin ?" Les rares véhicules qui le traversent font un bruit
de vieille tondeuse grippée. Ce sont des Ami 6, avec leur arrière fuyant
et leur couleur indécise de pomme de terre pelée. Sur la place, un puits,
encorbellé de géraniums très rouges. Dans les ruelles adjacentes,
quelques buissons d'hortensias banalement roses.
J'ai ma main de cinq ans dans celle de mon grand-père. Nous gravissons
les marches bosselées du Café Breton, une institution. Les bolées
sont fendues. Le cidre est âpre. C'est l'été et il fait chaud.
Car il fait toujours soleil sur les souvenirs d'enfance.
Ça, c'était avant.
Tandis que la bourgade gagnait d'années en années ses galons auprès
du touriste plutôt attiré par les bords de mer, quelques artisans
flairant la bonne affaire s'y sont installés. Il n'y a plus aujourd'hui
ni boulangerie, ni épicerie-qui-vend-de-tout, ni charcuterie, ni marchand
de chaussures de travail. On vend des bijoux dans le bureau
de poste, des tongs en cuir chez le grainetier, beaucoup d'horreurs
un peu partout.
Restent les fleurs, par milliers, toujours plus belles, plus insolentes,
plus éclatantes. C'est ici qu'on trouve les hortensias les plus fous,
les petunias les plus dévorants, les agapanthes les plus pommées.
Les crêperies elles aussi résistent, notamment celle du Café Breton
où l'on allait autrefois boire une bolée sur les tonneaux vernis, sous
la fresque de la noce bretonne où mon oncle, encore enfant, posait
pour le peintre américain qui venait d'acquérir le château.
{le château, de style néogothique, a été réhabilité en partie avec les éléments d'origine}
Il y avait les fêtes du 15 août sur le Champ de Foire, transformé depuis
en parking. Dans la boutique où l'on propose aujourd'hui des glaces
et du nougat, on trouvait de la très belle vaisselle bretonne. Les bols
à oreilles arboraient des prénoms normaux et étaient signés Henriot.
Pourtant, on est bien heureuse que ce village continue à vivre,
à se restaurer et s'embellir, malgré tout. Les chats attendent la nuit
ou le petit matin pour hasarder leurs pattes délicates sur les pavés voilés
de rosée. Une rochefortaise d'âge respectable nous raconte la vie d'avant
les smartphones et les bermudas en arrosant ses lobelias bleu électrique.
La bolée fraîche sur la petite terrasse qui surplombe la place du puits
a un goût de madeleine proustienne.
{cette couleur insensée des hortensias dans la ruelle qui mène à l'église
Notre Dame de la Tronchaye... photo prise vers 8 heures du matin}
{balade dans les Grées jusqu'à la "Maison du Pendu" : les légendes bretonnes,réelles ou fausses,
ont toujours fait délicieusement frissonner les enfants}
La nostalgie a la vie dure lorsqu'il s'agit des moments heureux
qui ne seront plus.
Puis on ira dans le petit cimetière de campagne, là-bas,
juste à côté, déposer les roses du jardin déjà éplorées sur sa pierre brute,
tiède et moussue. La grille, elle, n'a pas changé. Certains pourront penser
qu'elle grince. Pour moi, elle chante. Comme la lancinante rangaine de bagad
qui accompagne tous les étés bretons.
Rochefort n'étant que le point de départ d'un petit tour de Bretagne, je vous
inviterai bientôt à me suivre pour la suite du périple !