La ville jardin
Il a suffit d'un rayon d'or, striant le ciel encore un peu bougon de sa
mauvaise nuit, pour me donner de vraies envies de terre et d'herbe.
Ici, la terre -et la plage- sont sous les pavés comme chacun sait.
{un petit coin caché du XIVe; la mythique Closerie...close; devant l'imposant hôpital
du Val de Grâce, d'humbles pissenlits font une percée entre les pavés;
jolie débauche végétale rue Delambre}
Mais en cherchant un peu, en étant curieux des petits détails qui comptent,
on voit qu'à Paris, contre toute attente, et plus ou moins modestement,
les fleurs poussent en une telle cacophonie bigarrée, que leurs exubérances
subliment avec éclat tous les gris parisiens.
{le square de La Rochefoucauld}
Le printemps ici comme partout se prépare pour sa fashion week. On ajuste
les bourgeons, on lisse les pétales, on défroisse les corolles, une dernière
retouche au feuillage renaissant et hop ! En piste.
{un très bel espace fleuriste s'est ouvert à la Grande Epicerie de Paris;
arbre fugueur à un balcon de la rue du Cherche-midi]
Le week-end, toute la population lutécienne se concentre dans les parcs
parisiens en clusters impunis. Savourant une fois de plus ma chance de vivre
à contre-temps, j'ai pu apprécier en milieu de semaine la beauté nue
et absolue des Jardins du Luxembourg, sans doute, par sa situation
et sa fréquentation, le parc le plus "intello" de la capitale.
{papotage entre chaises vides; cette jeune femme pensive * intrigue toujours les passants
sur ce coin de trottoir plutôt désert : je la salue lorsque je me rends à La Procure,
une de mes librairies préférées}
Une promenade à écouter le bruissement des pas sur le sable doré, un ou deux
rires d'enfant s'échappant du côté du bassin (le loueur de bateaux est
encore en hibernation)à croiser une dame emmitouflée lisant près de la statue
de Jeanne d'Albret, quelques promeneurs très âgés, reconnaissables à leurs
mains jointes dans le dos, comme si vivre encore était une punition...
{le "Luco" en cette fin d'hiver : je vois 3 chaises devant qui ne pratiquent pas la distanciation !}
Puis m'est venue l'idée de sortir hardiment du périph pour m'aventurer à Boulogne,
grande baroudeuse que je suis. En cherchant désespérément sur la Toile ce qui
pourrait me distraire d'un quotidien assommant, je suis tombée sur le site
des Jardins Albert Kahn, renaissants après des années de restauration
parsemées d'embûches, et ouverts sans contraintes particulières.
{A l'entrée des jardins, un renard échappé de la fable contemple les raisins...}
Certes, tout n'était pas encore montrable : le jardin anglais encore souffreteux,
la forêt vosgienne un peu clairsemée, nulle rose évidement sur les arceaux
du jardin à la Française. Seul le jardin japonais m'a insufflé une joyeuse envie
de gambader sur les plates-bandes tirées au cordeau, parmi les arbustes rasés
de frais et sur le pont jeté au-dessus d'un ruisseau fantôme.
{la petite maison de la cérémonie du thé est fermée...
je prendrai le mien en rentrant à la maison !}
Je souhaitais conclure le billet par cette jolie phrase d'Albert Kahn :
"Sortez, courez voir le monde ! Oubliez tout ce que vous avez appris,
gardez les yeux ouverts ! "
Mais la sentence tombée hier soir rend le conseil bien contradictoire.
Courage à vous, à nous, les 59, 62, 02, 60, 80, 75, 78, 91, 92, 93,
94, 95, 77, 76, 27 et 06...
Et joli printemps à tous !