J'aime bien recevoir car cela mobilise ma pensée et mon planning
au moins une semaine avant la soirée. J'aime bien recevoir
car ce sont les seuls moments où je me mets vraiment "en cuisine".
J'aime bien recevoir parce que la perspective d'un moment joyeux
autour d'une table peut rendre plus légers les moments affectés.
Avouons-le tout net : je ne suis pas du genre bonne franquette,
ceci n'étant pas dû à un snobisme déplacé, mais à la frayeur de
n'être jamais à la hauteur de quoi que ce soit.
{huit à table ce jour-là : un record compte-tenu du nombre de m2 dont je dispose}
Quelques minutes avant le premier coup de sonnette, je ressens le trac
d'une montée sur les planches un soir de première. Ce sont pourtant
tous des amis, de la famille, des gens que je connais, mais à chaque fois
c'est la peur de décevoir, de rater un plat, de n'avoir pas prévu la boisson
de celui ou celle qui ne consomme pas d'alcool, d'avoir oublié de changer
la savonnette, d'avoir fait une déco médiocre...D'ailleurs j'ai cessé d'aller
sur Pinterest me faire du mal en admirant les clichés insensés sur ce thème.
{un peu de neuf, beaucoup d'ancien, mélange de brocante familiale et de chines éparses...}
Je cherche ce qui pourrait faire joli, ce qui mettrait en appétit, ce qui
serait drôle, insolite, gai voire exentrique. Ce goût de la mise en scène
inhérant à mon ancien métier semble être resté intact.
Le tout avec un budget limité.
{la nappe est en fait un plaid réversible acheté en solde chez AMPM; pâtisserie Pouchkine}
Rien à voir avec les "dîners en ville" où l'on fait se rencontrer des relations
dont l'éclectisme risque de ne pas passer le stade de l'apéro, mais plutôt
de simples envies de se voir dans une intimité propice aux confidences,
bien que les occasions se firent plus rares ces cerniers mois.
{la photographie culinaire est un art en soi, et je n'ai ni l'appareil ni les outils
nécessaires pour y prétendre. Les plats sucrés s'en sortent mieux : ici un tiramisu
en verrines, et une aumonière aux pommes et crème Calva}
C'est aussi l'occasion de cuisiner, chose que je ne fais pas au quotidien,
si l'on excepte ces pulsions souvent dominicales de gros gâteaux, lesquels
finissent invariablement découpés en tranches dans le congélateur,
faute d'amateurs sous la main.
{nappe brodée Monoprix; nappe en lin MDM; vaisselle La Redoute Intérieurs, Casa,
Rêve d'Argile, couverts en argent de famille}
Une bonne semaine avant, donc, on se met en ordre de marche : les livres
de recettes sont entassés sur la table, le classeur où l'on range
les fiches découpées également, et je ne parle pas d'Internet avec
ses innombrables idées gourmandes, méthodiquement enregistrées
et répertoriées dans mes favoris.
{table de printemps, on passe au green, on fait son pain, et on se délecte des recettes
d'Héloïse Brion : ici, tarte rustique aux courgettes et truffe blanche}
Je punaise au mur de la cuisine côté volliges une feuille A4 où sont notées
toutes les étapes de la soirée du siècle. La plupart des courses ont été faites
la veille, heureusement. Il me reste à m'interroger sur la question cruciale
qui est de commencer par la préparation du curry aux pois chiches et pousses
d'épinard, ou du tiramisu aux speculoos.
{le très beau livre de Marie-Paule Faure, elle-même une très belle personne;
gribouillis pour ne rien oublier}
Une soirée, c'est une journée entière d'enfermement en cuisine.
Ma phobie du désordre, à moins que ce ne soit l'exiguité de mon terrain d'action,
fait que je lave et range tout ustensile au fur et à mesure de son utilisation.
N'excluant pas la possibilité d'un ratage, il est nécessaire de prévoir un plan B,
la plupart du temps sous forme de pâtes aux légumes, lesquelles, magnifiées par
un trait d'huile d'olive parfumée et une giboulée de parmesan, s'avèrent
finalement tout à fait à la hauteur.
Car il y en a eu de sublimes ratés, comme ces tartelettes au haddock
et au munster, terriblement salées et au fumet suspect, ces jeunes carottes
miellées rôties au four, ressorties trop tard à l'état de bâtonnets calcinés,
cette charlotte bancale au démoulé, et totalement avachie le temps d'arriver
sur la table, mais divine au goût!(ben non, pas de photo évidemment !)
{au jardin maternel, ouvert à toutes les fantaisies : herbes aromatiques, fleurs comestibles,
ou décoratives... Service décor naïf Atelier les Hurets; assiettes de cantine, verres dépareillés}
Tout me semble tellement plus facile lorsque je suis chez ma mère !
Il y a de l'espace où l'on peut tournoyer sans se cogner aux meubles,
un grand jardin propice aux déjeuners (presque) sur l'herbe, l'excitation
de ressortir les draps de chanvre usés, ravaudés (mais encore monogrammés!)
des arrière-grands-parents en guise de nappe, ainsi que leur
modeste vaisselle, de cueillir, glaner ce qui tombe sous la main
pour animer la table.
{en détaillant ces photos, une constatation s'impose : je suis la reine des tartes;
j'adore ces petits contenants en forme de coquilles d'oeuf, qui remplacent avantageusement
les verrines au moment de l'apéritif}
Après m'être livrée de façon aussi intime, je serais curieuse de savoir,
juste comme ça, comment vous faites, vous, lorsqu'une invitation se profile...
{j'adore relire de temps en temps ce vieux grimoire des bonnes manières, instructif et amusant,
surtout concernant le protocole des plans de table : mais il est très rare que je reçoive
en même temps un Général, un évêque, une comtesse et un ministre. Oui, vraiment très rare...}
Je profite de ce billet "ouvert" pour vous remercier, gentilles et fidèles
lectrices* de mes élucubrations parfois un peu décousues. Vos passages
et commentaires sont un vrai support, une main tendue, un sourire qui,
dans des journées parfois sans lumière, m'apportent l'étincelle,
et me donnent l'élan pour continuer.
*Je n'oublie pas dans ma reconnaissance un gentil et fidèle lecteur,
qui a eu la délicatesse de donner à son blog la couleur de mes yeux
(certes un hasard... merci, il ne fallait pas)
et qui se reconnaitra. Lisez son dernier billet consacré à Marcel Proust,
une passion pour lui que je ne partage pas mais qui pourrait finir par me
convaincre. Il est superbe, photos et texte. Je sais à quel point la
rédaction d'un billet digne de ce nom peut exiger de temps et d'énergie,
combien il engendre d'hésitations, de découragement, de crainte
et d'appréhensions. Mais restons honnêtes, c'est aussi un vrai plaisir.
A partager.
Comme un bon repas.