Les jolis jours de mai
Il existe des endroits, comme cela, qu'on a envie de voir et revoir
éternellement, et Giverny fait partie de ceux-là. Parce que oui,
c'est très visité, très pomponné, chaque rose, pensée ou iris semblant
faire partie d'une troupe de figurants placés sur le chemin pour
vous éblouir, et cette sophistication sauvage
peut légèrement irriter, mais au diable les esprits chafouins,
Giverny, en mai, c'est juste le Paradis sur terre.
{les coins secrets de l'auberge Baudy}
Nous y avons maintement nos petites habitudes : un déjeuner à la Capucine,
partagé avec les poulettes gourmandes au plumage froufroutant comme
des fleurs de pivoine, un café à l'Auberge Baudy, accompagné du
passage obligé par l'Atelier et son jardin en restanques dont on
ne se lasse pas, une visite de l'exposition temporaire proposée par
le Musée des Impressionnismes, une balade dans les ruelles,
{l'auberge Baudy, encore...}
quelques évocations des Nymphéas noirs lorsque l'on passe devant l'école
primaire, le plaisir de choisir une jolie carte qu'on écrira sur un genou, assis
sur un muret, en évitant de faire fondre la glace que l'on tient de l'autre main.
{le coin pépinière et jardinerie de la Capucine; et des fleurs, partout, à profusion...}
Il aura fallu un terrible orage pour chasser du village les visiteurs
en petite tenue, les Japonaises accrochées à leurs improbables
capelines de paille, s'enfuyant tels une volée de moineaux et laissant
aux autochtones un silence et une paix à peine troublés par le bruissement
de la pluie sur les rosiers grimpants.
Et précisément, l'exposition de l'année au Musée des Impressionnismes met
en exergue l'influence des maîtres japonais sur nos artistes européens
du XIXe et du XXe siècle. L'oeuvre du contemporain Hiramatsu Reiji,
fasciné par Monet et sa série sur les nymphéas, nous offre en ouverture
six toiles et deux paravents à la délicatesse inouïe.
{les toiles et paravents signés Hiramatsu Reiji}
L'exposition réunit, excusez du peu, des Van Gogh, Signac, Morisot,
Vuillard, Monet, Gauguin, Caillebotte, Pissaro... à donner le tournis.
Et l'on y retrouve avec émotion "La grande vague" du formidable
Hokusaï, déjà admirée au Grand Palais il y a quelques années.
{extrait d'une nature morte de Matisse; les capucines de Caillebotte}
Vous avez encore plus d'un mois pour profiter de cette exceptionnelle
exposition ! Et poursuivre le charme en vous promenant dans les jardins
du musée, structurés en carrés par thèmes de couleurs, ma préférence
allant au carré noir et ses extraordinaires pensées, ainsi qu'au
carré blanc et les sphères parfaites de ses alliums.
{le jardin noir; le jardin blanc}
{maisons norvégiennes dans la neige de Claude Monet}
{une des trente-six vues de la Tour Eiffel d'Henri Rivière}
Mais nous sommes attendus ! Pour un déjeuner sur l'herbe, quelque part dans
ce coin de Normandie "profond", cher à Philippe Delerm, entre Breteuil sur Iton
et Verneuil sur Avre. Petit arrêt à Conches en Ouche (dur à dire si on zozote)
sa remarquable église Sainte Foy, son musée du terroir, les vestiges
de son château, et arrivée à La Guéroulde sous un soleil complice.
Rien de plus charmant que ces maisons d'un autre âge laissées dans leur jus,
avec la patte parfois inspirée, parfois malheureuse des nouveaux occupants
successifs, la touche kitsch des enfants pour qui elles furent synonymes
de vacances entre cousins, les vélos de toutes tailles entreposés dans le hangar,
les jeux de boules orphelins de cochonnet, les cadeaux de fêtes des mères
remisés dans une malle de marin, le délicat service à Porto dépareillé
(qui boit encore du Porto ?) tout fier dans son vaisselier repeint
en gris argile, le plaid Ikea pour cacher le sofa élimé,
la petite-cabane-au-fond-du-jardin qui ne sert plus qu'à faire joli,
les récentes plantations de fleurs à la mode et les vieux lilas, superbes
et généreux, souvenirs des jours anciens et de la silhouette courbée
d'un grand-père jamais en repos.
De retour à la grande ville, on reprend ses habitudes mais comme tout à coup
l'appartement semble étriqué! D'autant qu'on a des invités à déjeuner,
qu'on a promis un truc simple genre cake salé et salade de toutes les couleurs,
mais comme tout serait plus beau sur une nappe posée dans l'herbe,
avec le chant des oiseaux en play list, les bouteilles couchées à l'ombre,
des promesses de sieste ou de jeux comme si les heures n'existaient plus.
Côté déco, j'adore l'astuce de Marie-Paule qui propose la fleur de sel
dans un coquillage : ici, une huitre du Croisic ! Les pains sont placés dans
les ravissantes pochettes de Christine, l'épi de blé sur les serviettes,
c'est une idée de Valérie, mais le dessert framboises/myrtilles/mascarpone,
c'est moi ! Et dans les verres Mint & Lilies, c'est encore plus joli !