Revivre ?
Le moment est arrivé. D'oser quelques premiers pas craintifs hors
de son périmètre autorisé, de s'aventurer prudemment dans la rue
qui semble, en gagnant du mouvement et de la vie, avoir perdu
toute élégance, toute séduction. Car d'autres n'ont visiblement
pas cette réserve. Qui papotent en rangs serrés et sans masques.
On ne sait plus si l'on a vraiment encore envie
de sortir. On est comme un animal reclus à qui on vient
d'ouvrir la porte de la cage. Que le monde semble hostile tout à coup !
On se dit qu'on n'était pas si mal, finalement, au chaud dans le cocon
du confinement, à chantonner Michel Legrand en concoctant des cakes d'amour
à tout-va, ou quelque chose s'en approchant. Cependant on est heureux
de lire le générique de fin de ce mauvais film, heureux pour les rescapés,
les guéris, ceux dont les métiers ont été mis à mal pendant presque deux mois,
ceux bien sûr qui n'ont cessé de prendre soin de nous, parfois avant
même penser à eux. Puis on modère son enthousiasme en réalisant que le film
n'est hélas pas terminé, qu'il s'agit juste du dernier épisode la Saison I
de la série Covid 19 (a-t-on déjà vu plus vilain nom ?) et que d'autres
sont en préparation.
{un nom simplet pour le gâteau le plus simple du monde : le "croque miam";
ici, une version avec poires et brisures de nougat}
Pour beaucoup, la règle des 100 kilomètres sera bienvenue. Pour d'autres,
dont la famille et les amis sont répartis aux quatre coins de la France,
voire à l'étranger, cela ne change pas grand chose. On se promet de regrouper
bientôt tous les anniversaires gâchés en une gigantesque fête mémorable.
Tristesse aussi, et résignation, d'apprendre qu'à Paris où l'on étouffe
entre nos murs, l'accès aux parcs et jardins reste interdit.
En l'absence de soins, quelques branches rebelles se faufilent entre
les grilles des squares de quartier pour ombrer les trottoirs.
L'on s'en contentera.
Le muguet joli, si précoce dans vos beaux jardins, mais si rare
à trouver dans les villes, n'aura jamais autant que cette année
à assumer la lourde charge de porter bonheur.
{confitures et confinement ont un petit quelque chose en commun... J'ai tenté fraises
et basilic, à déguster cet hiver; un jeu "La Marmotte", retrouvé au fond d'un placard
dans ma frénésie d'ordonnance}
La vie va donc reprendre et avec elle sans doute tout ce que beaucoup s'étaient
promis de ne pas reproduire. On nous propose une récréation, pas une sortie
définitive. Pourquoi réduire à néant, par inconstance et désinvolture, 55 jours
sans rencontres, sans baisers et sans partages, tout ce bel effort que nous
avons fourni, en reprenant le cours de choses exactement là où nous l'avons laissé,
sans tenir compte du danger frôlé et encore très présent?
Mais la mesure des choses ne semble pas concerner la plupart de nos
concitoyens. On revivra, oui, avec mille précautions, sans se départir
de cette prudence qui devra, bon gré mal gré, devenir la routine des jours à venir.
On réapprendra à inviter pour un café, un dîner. On se donnera rendez-vous
quelque part pour marcher ensemble dans ces rues discrètes découvertes
récemment, pour le plaisir de revoir les visages aimés sans l'interface
d'un écran, on partagera bientôt le fou-rire de la coiffeuse découvrant
le savant découpage d'une frange "maison", en passant près de la cour
d'une école, on entendra de nouveau les cris des enfants libérés.
{tout au long de la rue Coulmiers, de minuscules plantations ont été créées au raz du bitume,
protégées par de petites barrières; c'est aussi ce que j'aime à Paris, ces jolies trouvailles
naïves un peu saugrenues}
On sait aussi que dans les grandes villes où la nature avait repris
petit à petit ses droits - de l'herbe folle entre les pavés, des chats
alanguis en pleine rue, quatre renardeaux signalés au cimetière du
Père Lachaise, un air enfin respirable même sur les grands boulevards -
les pétarades et les klaxons impatients feront taire le chant des oiseaux.
Je l'avais évoqué dans un précédent billet, mais je ne saurais trop
vous recommander à nouveau la lecture des brillants et fins billets
d'Eric Fottorino dans son Journal du Covid, ne serait-ce que
pour cette phrase extraite de son dernier billet, et que l'on devrait
placarder dans tous les lieux publics :
"Faites attention à autrui qui est un autre vous-même"