Langueur monotone
Voici un automne qui se sera fait tirer l'oreille avant d'annoncer la couleur,
enfin, ses couleurs. 25° en octobre, était-ce bien raisonnable ?
Tout à coup, me sont venues des envies très fortes d'odeur de terre
mouillée, de ciels gris flanelle bosselés de nuages crème, du
crissement des bruyères de la lande sous les pas, du goût incomparable
de galettes d'un sarrazin presque noir, laquées de beurre salé,
de l'union flamboyante, magique, du granit et des hortensias...
Et les jours de Toussaint étaient parfaits pour cela.
{combien de fois me serai-je assise à califourchon sur ce pont ? les portes si souvent poussées se sont refermées
sur de nouveaux secrets; la récolte des châtaignes, une tradition : mais où est la cheminée ?}
Mais voilà. Le retour au pays des ancêtres ne se fait jamais sans émotion.
On vient rôder autour de l'ancienne maison de famille vendue depuis longtemps.
Le nouveau propriétaire a badigeonné en marron ce que l'on aurait préféré
voir peint en bleu. La grille d'entrée fait un peu trop "Grand siècle" pour
s'ouvrir sur un bâtiment aussi champêtre, dans cet environnement presque sauvage.
{sur la tombe de celui qui n'aura pas eu le temps d'être très vieux, de petits nuages de lichen, des bruyères
et une lumière pour le réchauffer; plus personne ne veut de ces vieilles croix de métal peint en argenté,
on préfère maintenant des tombes lisses comme des plans de travail de cuisine; à Rochefort, une fente de
boîte aux lettres vide, c'est tout ce qui reste de la Poste transformée en boutique de créateurs}
Mais les hortensias sont plus beaux que jamais. Ils ont même réussi
à sauter la haie pour festonner la route. Les souvenirs ici, intenses,
des Toussaint embrumées aux étés étincelants, n'étaient pas à vendre,
ils survivent, accrochés à nos mémoires complaisantes.
{on a finalement grillé les châtaignes au four; la couleur des dahlias pompons
fait écho à celle des confitures de figues}
De retour dans la grande ville, on pose ça et là les modestes symboles des
jours bretons. Châtaignes, hortensias, figues et cette part de far qui n'a
même par eu le temps d'être immortalisée, dévorée dès le soir du retour.
J'ai depuis longtemps renoncé aux promenades en forêts franciliennes,
sanctionnées par des files interminables de voitures de Parisiens qui
ont eu la même idée que moi au même moment. Et qu'on ne me parle pas
d'éviter les heures ou les jours d'affluence. Ici, l'affluence est permanente.
{pour cette exposition hors du commun, les Beaux-Arts avaient prêté la majesté de leur décor;
on a peu l'occasion de voir d'aussi près ces bijoux étonnants !}
, Ce qui est plaisant en revanche, c'est de pouvoir profiter de cette profusion
de salons, d'expositions et de vernissages que nous offre la capitale.
Celle intitulée fort à propos "Végétal, l'école de la beauté", à l'initiative
de la très célèbre joaillerie Chaumet, invitait à parcourir, mêlant époques
et techniques, une nature sublimée : dessins, herbiers, peintures et citations
faisant écho aux parures les plus éblouissantes. Les beaux bijoux hors de prix
ne m'ont jamais fait rêver, du moins avec l'hypothèse de les porter un jour.
A ce niveau d'excellence, c'est de l'art, du grand art, tout simplement.
{Reine, Dreyfus ou Moline, les beaux tisssus du Marché Saint-Pierre, au pied du Sacré-Coeur;
Mélodies graphiques, la papeterie du Marais; et l'univers un peu étrange de Marin Montagut}
Lorsqu'on recherche un bout de tissu, il n'existe qu'un seul lieu à Paris
pour satisfaire ce besoin : le Marché Saint Pierre. On peut même y aller
sans nécessité, juste pour le plaisir simple de naviguer entre les rouleaux
de soie, de shintz, de faille, de velours ou de brocart, tous ces jolis
mots que l'on a appris, autrefois, à la lecture des contes de fées.
Et puis il y a aussi ces boutiques qui font fantasmer, par leur atmosphère
si particulière. Rue du Pont Louis-Philippe, cette papeterie florentine,
séduisante comme un coffre à jouets pour adultes qui aiment encore écrire.
Rue Madame, le boudoir de Marin Montagut, entre cabinet de curiosités et
grenier imaginaire, si l'on aime les chats, les coeurs, les chaises de
square et les lignes de la main.
{crumble aux figues et crème légère au mascarpone; ces petits choux sont mes madeleines des dernières vacances !}
Mais il est peut-être temps de rentrer chez soi, d'allumer les fameuses
petites lumières qui rendent les fins de jours si magiques, et de déguster
un crumble de figues. Ou encore des Dunes Blanches, ces petits choux de folie
qui vous rappellent les vacances et le vent tiède du Bassin d'Arcachon.